Hybrides : La désillusion du "super maïs" [Témoignage]

La technologie du maïs hybride est l'une des manifestations les plus emblématiques de l'ambition de la génétique du XXe siècle de révolutionner l'amélioration des plantes.  Figure de proue de l'intensification agricole française d'après guerre, le maïs hybride a marqué l'histoire de nos campagnes en contribuant grandement à l'augmentation spectaculaire des rendements agricoles. Seulement, les hybrides marquent aussi un tournant vers une dépendance accrue des agriculteurs envers les semenciers.

En effet, du fait d'une forte dépression consanguine à partir de la deuxième génération, l'agriculteur est fortement incité à racheter chaque année de nouvelles semences.  André Puygrenier, agriculteur charentais à la retraite partage avec nous son souvenir de l'arrivée des premiers maïs hybrides dans sa ferme familiale. Ce maïs hyper productif a d'abord été accueilli avec joie par bon nombre d'agriculteurs avant d'éveiller progressivement les soupçons et la méfiance. Aujourd'hui, le maïs hybride représente toujours 95% des cultures de maïs en France, maïs certains décident de quitter cette voie.

Qu'est ce qu'un hybride ? D'ou viennent t'ils ?

 "Un peu à l'image de notre espérance de vie, le rendement du maïs a connu un progrès régulier au fil des dernières décennies, de l'ordre de 100kg par an et par hectare : on est passé de 1,7 à 9 tonnes par hectare au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Les épis sont plus imposants et les grains peut-être un peu plus lourds, mais l'essentiel de ce boni tient à la capacité des variétés modernes à supporter des densités plus élevées, et donc à produire plus d'épis à l'hectare. A cela s'ajoute l'hétérosis, un surcroît de vigueur lié à l'hybridation. Ce phénomène a été mis en évidence pour la première fois par le généticien américain Georges Harrison Shull. Né en 1874 dans une ferme de l'Ohio, il hérite le goût des plantes de sa mère, fine jardinière. Il complète l'enseignement de son école de campagne en étudiant à la maison, ce qui lui permet d'intégrer l'Université. Devenu botaniste assistant à l'herbier national des Etats Unis, Shull se passionne pour les variations qu'il peut observer sur les plantes collectées dans la Nature. Il est ainsi poussé à s'orienter vers l'évolution et la génétique. Il choisit alors de travailler dans la station de recherches de Cold Spring, près de New York. On vient de redécouvrir les travaux du père Gregor Mendel, le moine tchèque qui avait démontré, avec de simples petits pois poussant dans le jardin de son couvent, que les caractéristiques des parents étaient transmises au descendants, et dans quelle proportion.

Shull savait que chez le maïs, contrairement au pois et au blé, la fécondation croisée est de rigueur. Ainsi chaque épis contient une population avec du bon et du moins bon. Pour être sur de n'obtenir que le meilleur, il faut contrôler la fécondation, et donc, les parents.

Dans une premier temps, Shull oblige les fleurs femelles à ne recevoir que du pollen de la même lignée. Puis il les enferme dans des sacs pour éviter tout apport de pollen différent. Ce qui conduit à des souches peu vigoureuses, conformément au phénomène bien connu de la consanguinité. Mais quand il croise entre eux ces lignées pures, les hybrides obtenus produisent bien plus que chacun de leur parents. En 1908, il publie un article où il se fait l'avocat des hybrides par rapport à la sélection pratiquée jusque-là, qui consistait à repérer les plus beaux épis dans une récolte pour s'en servir comme semence. Il y voit la possibilité de faire progresser les rendements, qui stagnaient depuis un demi siècle. La difficulté était le faible nombre de graines obtenues avec des parents aussi chétifs, et donc leur coût. Un simple étudiant, D.F. Jones, trouve l'astuce qui consister à croiser entre eux deux hybrides, ce qui permet d'obtenir des lots de semences toujours homogènes, mais cette fois ci en grande quantité. Vite relayés par des sélectionneurs privés, les maïs hybrides rencontrent un succès immédiat, dû à leur rendement supérieur d'un quart aux variétés classiques. Devenu professeur de génétique de la prestigieuse université de Princeton, George Shull meurt en 1954 assez vieux pour voir cette marée de maïs hybrides envahir les champs.

De multiples travaux ont complété les siens en vue d'améliorer la technique, notamment pour mieux prédire les résultats des croisements. Aujourd'hui, la plupart des ma¨s hybrides sont issus d'un seul croisement, ce qui permet d'optimiser l'hétérosis. En un siècle, les rendements moyens ont été multipliés par quatre aux Etats Unis, passants de deux à plus de huit tonnes par hectare. L'amélioration génétique y est pour beaucoup, mais aussi l'impact positif du machinisme, des engrais ou des produits de traitement : les hybrides sont comme des bolides F1, performants et exigeants à la fois. Un autre bouleversement majeur lié à la généralisation des hybrides est le fait que leur conception requiert des laboratoires et des chercheurs de haut niveau, ne serait-ce que pour dominer à l'outils statistique nécessaire. La blouse blanche et l'ordinateur se sont substitués à l'oeil et à la main du paysan. Les techniques de culture en éprouvette ont remplacé les champs, devenant de plus en plus sophistiquées. La voie vers les biotechnologies était toute tracée, et ce n'est donc pas un hasard si les premiers maïs OGM ont été développés pour le marché agricole du Middle West, où s'était déjà produite la révolution des hybrides quelques décennies auparavant. »

Pour aller plus loin :

  • " Semences : une histoire politique. Amélioration des plantes, agriculture en France depuis la Seconde Guerre Mondiale", Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas (Editions Charles Léopold Mayer).
  • " Céréales. La plus grande Saga que le monde ait vécue", Jean Paul Collaert (Rue de l'échiquier)
  •  L'hybridation, expliquée par le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et des Plants)